Jean-Baptiste FONLUPT

CD Ballets - Jean-Yves Clément, Diapason (Diapason d'Or)

Dès la Danse russe de Pétrouchka, incendiaire, d’une clarté tranchante, l’oreille est sous le charme de mille contrastes et couleurs. Loin de se livrer à une démonstration abstraite comme jadis l’éblouissant Pollini (DG, 1972), Fonlupt place d’emblée l’instrument au milieu des péripéties de la danse, avec un sens inné de la narration, justifiant le titre donné à l’album. Ce piano ludique, incarné, joyeusement versatile (Chez Pétrouchka), à la liesse follement contagieuse (Semaine grasse) est moins opulent que celui de Beatrice Rana (Warner, Diapason d’or de l’année 2020), mais tout aussi imaginatif. La Valse de Ravel est rendue avec une grandeur et une puissance impressionnantes, dans des tempos fluctuants et un climat voluptueux, qui s’étale en larges plans sonores. Sans chercher à rivaliser avec la liberté extravagante d’un Glenn Gould (Sony, 1977), Fonlupt fouille la partition et en fait saillir chaque détail avec une attention confondante, jusque dans l’irrésistible fournaise finale. Des dix numéros tirés par Prokofiev de Roméo et Juliette, Fonlupt en retient quatre, lyriques à souhait et pleins d’entrain. Goûtons particulièrement la tendresse déchirée qui parcourt la dernière, Roméo et Juliette avant la séparation. Ballet, vraiment, les Valses nobles et sentimentales de Ravel ? Car leur auteur les orchestra pour une Adélaïde ou le langage des fleurs créée aux Châtelet en 1912. Les huit numéros trouvent sous les doigts de Fonlupt une délicatesse d’expression rare. Tout est creusé, conté à fleur de peau, comme jadis chez Michelangeli (Praga Digitals, 1952). Le jeu sensuel et raffiné, admirable de sobriété, unifie le cycle telle une suite chorégraphique où chaque page s’enchaîne naturellement à la suivante. Comme au terme de Roméo et Juliette, avec un sens du chant royal (la main gauche !), la musique s’éloigne dans une émotion dénudée. Un art bouleversant, intériorisé, qui rappelle la vision, intense et intime à la fois, d’un Nicholas Angelich (en concert à Milan le 13 mai 2013 : document accessible sur YouTube). Une merveille.

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