CD Rachmaninov - Bertrand Boissard, Diapason (Diapason d'Or)

« Pour s'aventurer dans les préludes de Rachmaninov, cette succession d'états d'âme où se mêlent lyrisme épuré, bravoure tempétueuse, introspection mélancolique et éclats luxuriants, il faut une technique achevée mais aussi une intime compréhension de cet univers. Formé notamment par Elisso Virssaladze au Conservatoire de Moscou, Jean-Baptiste Fonlupt possède davantage que la virtuosité et la science des timbres requises: une noblesse de ton, perceptible dès le fameux Opus 3 n° 2 en ut dièse mineur.

Dans l'Opus 23 (1901-1903), le n° / lui permet d'emblée de déployer un art du chant aussi naturel que délicat. Échappant à toute lourdeur, le n° 2 (Maestoso en si bémol majeur) n'en stupéfie pas moins par son ardeur conquérante. Et les préludes méditatifs, tel le n° 4 (Andante cantabile en ré majeur), distillent une expression intense. Ces moyens impressionnants font merveille dans le célèbre nº5 (Alla marcia en sol mineur), empoigné avec autant de fièvre que de panache. Autre sommet, le n° 7 (Allegro en ut mineur), sur lequel déferlent des vagues immenses avec une force nullement écrasante. Fonlupt y conjugue vélo-cité, ampleur sonore, agilité dans les déplacements et vaste palette de nuances. Avec quelle assurance limpide il s'empare ensuite du terrible n° 9 où semble passer le fantôme d'une étude de Chopin !

L'Opus 32 (1910) recèle d'autres splendeurs: la hargne pour ainsi dire sauvage du n° 1 (Allegro vivace en ut majeur) nous évoque Sviatoslav Richter, le n° 5 (Moderato en sol majeur), au balancement si raffiné, captive par sa transparence, tandis que le n° 10 (Lento en si mineur inspiré d'une toile d'Arnold Böcklin, Le Retour) ne laisse jamais son émotion dévorante sombrer dans le pathos.

En regard de gravures rivales récentes, notre interprète éclipse Boris Giltburg, très honorable mais trop premier degré (Naxos), et va plus loin que l'excellent Lukas Geniusas, un rien détaché par moments (Piano Classics). Surpassant en imagination Nikolaï Lugansky, que handicapait une prise de son plutôt étriquée (HM), il rejoint et surclasse même par endroits le formidable Steven Osborne (Hyperion). Si Vladimir Ashkenazy (Decca) reste sans doute hors de portée, le nouveau venu subjugue par son inspiration poétique, sa flamme pénétrante, sa maîtrise architecturale : Fonlupt nous offre une audacieuse référence moderne. Chapeau ! »